Coronavirus et responsabilité

Mon objectif est de vous informer et conseiller, surtout de ne pas vous faire peur, plutôt de vous rassurer à l’approche d’une rentrée des classes exceptionnelle

Devoir d’obéissance et droit de retrait

Le devoir d’obéissance s’impose à tout fonctionnaire (L. n°83-634, art.28 du 13 juillet 1983). Il s’efface devant le droit de retrait (D. n°95-680 du 9 mai 1995).

Un membre de l’enseignement public peut se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé sans encourir ni sanction ni retenue de salaire.

Mais attention, dans le contexte actuel, il ne m’apparaît pas nécessairement adapté à la situation ni juridiquement fondé quand on connaît la jurisprudence restrictive des juridictions administratives.

Il s’agit d’abord d’un droit individuel et non collectif.

Il ne peut pas être décidé à l’avance.

La légalité du retrait est appréciée au regard de l’évolution du virus – perte d’intensité ou aggravation, diminution ou augmentation exponentielle du nombre de cas- selon le lieu, la région, le département, la commune, l’établissement scolaire.

Le danger ne suffit pas, le danger grave ne suffit pas, le danger imminent ne suffit pas.

Vous devez avoir un motif raisonnable de penser que votre situation de travail présente un danger grave et imminent.

Celui-ci sera toujours apprécié en fonction de votre situation personnelle de telle sorte qu’au sein d’un même établissement scolaire le droit de retrait pourrait être, dans certaines circonstances, juridiquement justifié pour un enseignant âgé, de santé fragile ou atteint d’une maladie chronique et ne pas l’être pour un jeune enseignant en bonne santé.

Enfin, on est en droit de penser que l’État, parfaitement informé de la situation sanitaire, comme les collectivités territoriales propriétaires des écoles, collèges et lycées prendront les mesures de protection appropriées et qu’ainsi le droit de retrait, sauf exception, ne devrait pas trouver à s’exercer.

En conclusion, vous devrez vous montrer très prudent et prendre conseil avant d’exercer celui-ci, sachant que la justice administrative ne le valide pas souvent et ne statue que bien plus tard sur la retenue de votre traitement.

Là se situe le risque car, sauf abus manifeste dans les conditions de son exercice ou sur sa durée, je ne crois pas à la mise en place d’une procédure disciplinaire, cependant toujours possible.

Parmi tous ceux, l’immense majorité, qui vont reprendre leur travail dans le cadre d’un protocole sanitaire présenté par votre employeur, vous êtes nombreux à vous poser la question de votre responsabilité, dans les nouvelles conditions de travail qui vous sont imposées, par exemple en cas de contamination par le COVID-19 de vos élèves.

Si je mesure la complexité des situations inédites auxquelles vous allez être confrontés sur une durée encore inconnue, les difficultés qui vont se présenter à vous, enseignants, directeurs d’école, chefs d’établissement, pour enseigner, surveiller et assurer la sécurité de vos élèves, qui vont rendre vos conditions d’exercice encore plus difficiles que d’habitude, il n’en demeure pas moins qu’à mes yeux, vos responsabilités ne s’en trouveront pas pour autant aggravées et voici pourquoi.

Vos responsabilités

Ni l’Éducation Nationale ni ses personnels ne sont tenus d’une obligation de résultat comme celle consistant à ce que vos élèves ne tombent pas malades, ce qui devrait être une évidence.

Vos obligations comme celles de l’Administration ne sont que de moyens dans la mission qui est la vôtre.

Les responsabilités de chacun ne seront pas différentes en cette période troublée et anxiogène de celles existant en temps ordinaire.

Il s’agira toujours de responsabilités fondées sur une faute.

Pour être le plus clair possible, il doit être distingué deux types de fautes donnant naissance à trois responsabilités de nature juridique différentes :

Faute de service et responsabilité administrative

La faute du service, dans le cas où le préjudice subi doit être regardé comme indépendant du fait du membre de l’enseignement public, soit que ce préjudice trouve sa cause dans un défaut (une faute) d’organisation du service, soit qu’il ait son origine dans un dommage afférent à un ouvrage public.

Ex : responsabilité de l’État retenue par le Tribunal Administratif de Paris pour insuffisance en nombre de la surveillance d’une cour d’école à la suite de l’accident survenu à une enfant de trois ans au cours d’une récréation que la directrice de cette école était seule à surveiller (et non de celle-ci qui surveillait)

Ex : responsabilité de la Région, maître de l’ouvrage chargée de l’entretien d’un lycée, pour la chute d’un panneau de basket ayant blessé un élève (et non du chef d’établissement)

Cette faute du service ne peut engager que la responsabilité administrative de l’Administration.

Ainsi, on peut imaginer qu’en cas de contamination d’un élève seule la responsabilité de l’Education Nationale pourrait être recherchée si elle est consécutive à une insuffisance d’encadrement ou de surveillance à l’exclusion de celle du chef d’établissement ou du directeur de l’école.

Il s’agit donc d’une responsabilité que je qualifie d’anonyme (c’est le service qui est défaillant et non la personne).

Vous n’êtes pas concernés par cette première responsabilité.

Faute de service et responsabilités pénale et/ou civile

La faute de service, dans les cas où le préjudice causé a son origine dans la faute d’un membre de l’enseignement public.

Cette faute peut donner lieu à la mise en jeu de deux responsabilités : la responsabilité pénale ou la responsabilité civile, parfois les deux à la fois.

Voici maintenant pourquoi je vous invite à ne pas vous inquiéter, dans le contexte actuel de la pandémie de Coronavirus, face au risque limité, à mes yeux, de voir engager ces deux responsabilités en lien direct avec ce virus, par exemple en cas d’infection d’un élève.

La responsabilité pénale

Cette responsabilité pénale peut certes avoir de lourdes conséquences pour les membres de l’enseignement public car elle relève des juridictions pénales, essentiellement le tribunal correctionnel, et peut entraîner des condamnations pénales assorties de peines d’emprisonnement et d’amende si vous êtes déclaré coupable d’une infraction pénale (par exemple l’homicide involontaire en cas de décès d’un élève ou atteintes involontaires à l’intégrité de la personne ayant causé une incapacité totale de travail ou pas) et donner lieu à une inscription sur votre casier judiciaire.

Mais elle a fort peu de chances de vous concerner depuis une loi du 10 juillet 2000 qui est venue redéfinir avec plus d’exigence les délits non intentionnels comme l’homicide involontaire ou les atteintes involontaires à l’intégrité de la personne consistant à causer par imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité la mort d’autrui ou une incapacité de travail de plus de trois mois.

Ainsi, l’article 121-3 du Code Pénal exige-t-il pour condamner un membre de l’enseignement public que soient réunies les conditions suivantes :

  • le non-accomplissement des diligences normales compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait
  • soit la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée et qui exposait l’élève à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.

La faute caractérisée s’analyse, au sens de la jurisprudence, comme un manquement caractérisé à des obligations professionnelles essentielles ou comme l’accumulation d’imprudences ou de négligences successives témoignant d’une impéritie prolongée.

Rares sont les condamnations pénales d’enseignants, de directeurs d’école ou de chefs d’établissement depuis vingt ans.

A titre d’exemple, dans l’affaire dite du Drac, la Cour de Cassation a validé la relaxe de l’institutrice et de la directrice de l’école poursuivies pour homicide involontaire estimant que la seule cause directe du décès de six enfants péris par noyade est un lâcher d’eau effectué sans précaution par des préposés d’EDF.

Vous ne devriez donc pas être inquiétés sur le terrain de la responsabilité pénale en lien avec le Coronavirus, que vous soyez chef d’établissement, directeur d’école ou enseignant dès lors qu’avec les moyens dont vous disposez vous aurez accompli votre mission aussi bien que possible dans le souci de la sécurité de vos élèves et de la prévention des accidents de toute nature et de préservation de leur santé.

4.2 La responsabilité civile

Alors que la responsabilité pénale a pour objectif la sanction du coupable d’une faute d’un membre de l’enseignement public, la responsabilité civile a pour vocation la réparation du préjudice causé à autrui par cette faute.

Or, selon l’article L .911-4 du Code Civil, la responsabilité de l’Etat est substituée à celle du membre de l’enseignement public et celui-ci ne peut jamais être mis en cause devant la juridiction civile.

Quelle que soit la nature de la faute, quelle que soit sa gravité, c’est à l’Etat, représenté par l’autorité académique compétente devant la justice, de réparer le préjudice et de payer les dommages et intérêts.

Ainsi bénéficiez-vous d’une remarquable protection et ne risquez-vous rien sur ce terrain de la réparation du préjudice.

Sachez enfin que si la loi a prévu la possibilité d’une action récursoire de l’Etat contre le membre de l’enseignement public fautif en cas de faute personnelle, celle-ci n’est que très rarement exercée ; ainsi l’a-t-elle été contre un enseignant reconnu coupable d’agressions sexuelles sur plusieurs de ses élèves.

Conclusion

Droit de retrait : à n’utiliser qu’avec prudence et à n’exercer que si les conditions légales sont réunies.

Responsabilités : si faute du service, ne vous concerne pas ; si faute de service, peu de risques d’engager votre responsabilité pénale en lien direct avec le Coronavirus, idem pour la responsabilité civile avec en garantie la substitution de l’Etat pour la réparation des préjudices